Fragments 3/3

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Raté le pain. J’abandonne le pain. Ce qui ne marchait pas avant le confinement ne marche pas mieux pendant.

On ne parle plus du monde d’après. Le nouveau défi, c’est le monde « avec ». Comment vivre avec un virus contagieux et mortel ? On édicte des règles. On définit une hygiène de vie, balbutiante d’abord, qui se précise peu à peu : des masques, des tests, de la distance.
Finalement, pendant ou après, avec ou sans, c’est toujours la même question : comment vivre ?

Télétravail.
Et tout à coup dans le silence, enfants qui piaillent
Se chamaillent et pinaillent.
Une occasion de rimes en aille.

Je fais, à distance, de la lecture à des personnes âgées, seules chez elles. De la poésie surtout, parce que les poèmes nous ouvrent à une liberté totale. Deux ou trois adjectifs, quelques vers, une respiration et nous voilà déjà transportés.
Magie des mots, légèreté du souffle, chanson de la voix, des espaces s’offrent à la confiance et à l’émotion.
Relié à soi, relié à l’autre.

Je sors prendre l’air. Je marche dans ma ville, apaisée par la brise légère qui m’accompagne. Pour Claudine, à qui je fais la lecture, le vent c’est la vie ; l’absence de souffle, la mort. Cela doit expliquer que nous soyons si nombreux à parcourir ces rues que je m’attendais à trouver désertes. L’instinct de vie.
Je passe devant la vieille cheminée, vestige de l’usine démolie. Je découvre au sol un parterre de pissenlits. Sous l’allée de frênes, des chiens se courent après, se sautent dessus, ne narguent, se surprennent, jappent et bondissent. Leurs maîtres forment autour d’eux un large cercle, éloignés, résignés.
D’un pas à l’autre, j’évite les gens, je zigzague, j’accélère, je ralentis, j’esquive, je m’arrête. La distance de sécurité est plus facile à concevoir qu’à appliquer. Dans cette danse agile et ridicule qui rythme mon allure, je ne peux partager mon sourire gêné, caché par un masque. Alors j’essaie de sourire des yeux.
A quoi ressemblons-nous ?            
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