Fragments 1/3

Texte paru dans l’ouvrage collectif « Echos Vides – la Poétique du Coronavirus » aux éditions Let-Know café

Fragments.

Parce que cela ne peut pas être autre chose.
Ecrire l’intime ? Bousculé, il m’est devenu étranger. Il s’adapte au fil des journées confinées, oscille entre ennui et routine, subitement s’échappe, on ne sait où, puis revient étrangement serein et joyeux. Aussi fragile qu’insaisissable.
Décrire le monde… Quel monde ? Comment et avec qui nourrir un dialogue ? Pour raconter quoi ? Le monde aussi me semble devenir étranger à lui-même. Ignorant de ce qui l’anime, de ce qui le retient, de ce qu’il va devenir.
Seuls des fragments me sont accessibles. Des moments de poésie, une lueur d’espoir, une vague de tristesse, une bouffée d’angoisse, la chaleur d’un réconfort, une bribe de souvenir. Une pensée morcelée. Parfois une impression, une intuition. Peut-être l’amorce d’une réflexion.
Rien que des clichés saisissant le présent. L’immédiateté.

Dehors, jonquilles et primevères,
Mésanges, merles et tulipes,
Herbes en pagaille à l’ombre du cyprès.

C’est le moment où jamais. Je vais me lancer dans la fabrication de pain maison.

Je m’amuse de la dialectique des journalistes et des intellectuels sur « le monde d’après ». Ce monde qui sera plus vertueux, respectueux de la nature et solidaire : cette épreuve nous conduit à mesurer ce qui est essentiel et l’humanité va enfin devenir raisonnable.
Pourquoi faut-il penser à construire le monde d’après ? Cela m’évoque un enfant effrayé, s’inventant de quoi combattre le dragon qui menace, un cheval puissant et rapide, une armure qui le protègerait du feu et une épée gigantesque.
L’imagination comme parade à l’impuissance. L’imagination en rempart. Pourquoi pas, si cela permet de rêver à un avenir meilleur ?

Seuls les vrais joggeurs auraient le droit de courir. Les autres doivent leur laisser la place, disent-ils, parce qu’ils ont vraiment besoin de courir, eux. La preuve : ils couraient déjà avant le confinement. Imparable.

Les coureurs du dimanche sont-ils de vrais joggeurs ?

Une semaine déjà a passé
Déposé ses secondes
Et dessiné mon rapport au monde.
Dans l’air frais, j’ai désherbé l’allée,
Senti la terre humide sous les graviers,
Entendu un voisin ouvrir son volet.

Je poste une photo de ma première pate à pain sur Face Book. Sept Likes.

Des rencontres virtuelles. De nouveaux mots prennent leur place dans le quotidien : Skype, Zoom, Team et compagnie.
Mais toujours avec l’apéritif ! Pour se poser, dialoguer avec d’autres, malgré l’écran et le confinement, alcool et cacahuètes, que l’on ne peut pourtant pas partager, sont indispensables.
Semblant de normalité. Absurde.

Mon pain est raté.

Les questionnements sur le monde d’après ne me font plus sourire.
J’ai entendu une femme à la radio expliquer doucement combien la période est propice à tous les biais de confirmation.
Ceux qui étaient favorables à la décroissance sont plus que jamais persuadés que nous n’avons plus le choix…                  Lire la suite

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